Controverses, un peu de philosophie...
Le honte d'être rom
Jean-Marc Turine ''Le crime d’être Rom'' (Ed. Golias)
"Lorsque
Simon Wiesenthal demanda en 1984 à Elie Wiesel que les Roms soient
représentés dans le Conseil qui visait à perpétuer le souvenir de la
Shoah, celui-ci lui répond sans détour qu'''il ne fallait pas dévaluer l’Holocauste''.. ce à quoi Wiesenthal rétorque qu'''il ne fallait pas dévaluer le nazisme'', car les Roms, au même titre que les Juifs, ont été victimes du racisme fanatique du
régime hitlérien. Leur extermination a même été planifiée de plus
longue date puisqu’en 1906 déjà, un certain Alfred Dillman préconisait
de débarrasser l’Allemagne de ce peuple ''criminel, asocial et fainéant'' par nature.
Cet
épisode illustre le fait que certains dans la communauté juive tentent
de s'accaparer le statut de victimes uniques du génocide nazi quitte à
verser dans le négationnisme du génocide rom. En tronquant et en
minimisant la réalité de l’entreprise de mort que constituaient les
camps d’extermination, ils mettent ainsi à mal les efforts d’autres
intellectuels juifs qui, conscients de la capacité de leur communauté à
imposer au monde la mémoire de la Shoah, sont les avocats dévoués à la
mémoire du génocide rom.
Les Roms eux-mêmes portent-ils une responsabilité dans ce déficit de mémoire?
Si
la communauté rom a refusé les compensations que lui proposait
l’Allemagne, ce refus ne constituait en rien un déni de mémoire mais
s’expliquait par le fait que les compensations étaient attribuées à
titre ''humanitaire'' et non en tant que ''victimes de crime contre l’humanité''.
Une insulte à la mémoire : ils n’ont pas été victimes de la famine ou
d’une catastrophe naturelle ! Cela dit, il est certain que des conflits
internes à la communauté ont miné le poids de leur représentation et
leurs chances d’inscrire de manière forte la réalité de la tentative
d’anéantissement de leur peuple dans l’Histoire.
Et l’argument qui fait des Roms un ''peuple de l’oralité'' qui craint le passé et désire l’enfouir?
Certes,
il existe un certain esprit selon lequel ''le passé fait peur, le futur
ne risque pas d’être meilleur, donc il faut vivre dans le présent''.
Mais cela ne signifie pas que ce peuple n’ait pas de mémoire. Sans
mémoire, un peuple meurt. Sans doute leur tradition orale, au contraire
de la tradition livresque juive, s’est-elle trouvée dépourvue face à la
question de la transmission au sens où nous l’entendons. Mais peut-on
considérer qu’un peuple de tradition orale est pour autant sans mémoire?
C'est
à cause de la non reconnaissance du génocide subi par les Roms qu’il
est possible aujourd’hui qu'ils soient traités d’une manière aussi
violemment discriminatoire. Cela n'eût pas été possible si la communauté
rom avait bénéficié d’un statut clair et officiellement admis de
victime de génocide. Les autorités politiques européennes, se
rendant sciemment coupables de ''non assistance à peuple en danger''
prennent le risque de voir éclater à tout moment une véritable bombe
sociale." Réponse à l'article :
"Qui que vous soyez, soyez remercié au nom de la communauté des voyageurs. Je suis Rom de Macédoine et depuis
ma plus tendre enfance j'ai été élevé dans une ambiance de non-dit
sur nos origines. Savez-vous combien de personnes de ma famille n’osent
pas dire que nous sommes ce que nous sommes? Imaginez
le nombre de sédentaires depuis des décennies ou des siècles,
intégrées, qui n’osent s’affirmer ou du moins ne pas se cacher. Cette communauté se laisse dépecer.
J’ose espérer qu’un jour, des gadje comme nous avons pour habitude de
les nommer se préoccuperont des ''pauvres'' que nous sommes (beaucoup
trop d’entre nous sont analphabètes donc sans armes pour se défendre.)
Veuillez cher humaniste, recevoir ma pleine gratitude." Interview par
Amnesty international de l'auteur reprise sur le site d'Amnesty avec ce
commentaire.
Un peuple divisé ?
Comme
chez tous les peuples diapsorés, les caractéristiques physiques des
roms sont diverses : parfois rien ne les distingue d'un européen non
rom, d'autres, d'un indien ou d'un méditerranéen. Il arrive qu'on les
prenne pour arabes. Les
roms roumains, les "tsiganes" ou les sintis [émigrés 4 siècles avant
les rajputs] d'allure occidentale, aux noms germanisés ou balkanisés et
les gitans hispanisés s'entendent parfois assez mal. Ceux qui, esclaves, se sont mêlés aux populations indigènes et les seconds, plus
"libres" et plus "fermés" qui auraient davantage conservé leur culture
originaire se reconnaissent mal comme un seul peuple... [notons que si les relations femmes tsiganes- hommes slaves étaient fréquentes, l'inverse, bien que parfois toléré voire exigé -au cas où la maîtresse de maison était stérile par exemple- était en tout autre cas puni de torture et de mort par crémation].
Reste le métissage tout de même et le fait que les roms des Balkans eux
aussi aient "perdu" en partie les caractéristiques extérieures de
l'indianité. [Je
pense par exemple à une amie parfaitement intégrée -à un haut niveau-
dans sa ville... qui refuse catégoriquement pour elle le terme de
"gitan" et même de "rom"... tout en se reconnaissant volontiers
"tsigane", précisant qu'elle vient de l'Est comme l'indique son nom
-alsacien-... et ce malgré des traits indiens très accusés, une
exception. "Tsigane, oui ; gitane ou romi, jamais !" Elle n'est pas une
"caraque" en somme.] Cela évoque chez les juifs le dédain des ashkénazes germanisés issus de l'Est vis à vis des "séfarades" ou "misrahims" d'origine arabe.
Le racisme génère la
honte, comme chez tous les peuples racisés et la tentation de se fondre
dans la masse, d'oublier sa romité -si on a la chance qu'elle ne soit
pas visible- tout est tellement plus simple ! Certains n'osent pas dire
où ils habitent, sachant par avance le mépris dont ils vont être
l'objet -ou la fin de non recevoir d'un employeur putatif-. Et ils
déménagent dès qu'ils le peuvent. Fondus
dans les groupes autochtones, assimilés, il arrive qu'ils soient
rejetants -ou distanciés- vis à vis des autres -y compris de leurs
parents- et même parmi les différents groupes professionnels, il y a une
hiérarchie : les ferronniers, en raison du "désordre" relatif de leurs
campements -relié à leur activité de récup- étant au plus bas
-actuellement, car ce n'était pas le cas autrefois-. Propreté,
pureté, hygiène -contrairement au cliché- sont chez les femmes roms une
quasi obsession -atavisme de leur appartenance de caste?- Même si les enfants, nombreux, souvent dehors, sont inévitablement souillés, les caravanes sont lavées de fond en comble tous les jours.
Même
dans un environnement dégradé relié à l'emplacement des camps, à leur
profession -récupération des ferrailles- ou à la pauvreté...
l'intérieur des habitations, masures, cottages ou caravanes est
remarquablement astiqué. Lorsqu'on va chez eux -ils invitent volontiers,
même à l'improviste- souvent, le premier souci de la maîtresse de
maison est de faire visiter, comme si elle éprouvait le besoin de
montrer l'état impeccable de son logis. L'appellation
"gens du voyage", terme vague qu'on leur attribue par défaut -toute
référence ethnique étant interdite dans les textes officiels,
panneaux...- les gêne, désignant des groupes nomades très divers socio économiquement et culturellement conduits à ce mode de vie par nécessité -ou vocation-, profession -forains, artistes itinérants- ou en raison d'une totale marginalisation -alcoolisme, misère-... Dans ces groupes, ils ne se reconnaissent pas, même si, voisins, ils se côtoient. Sédentaires à 90% soit en camp soit en HLM, maisons.. -ils gardent alors un "pied" dans le terrain où résident des membres de leur tribu-,
installés depuis des générations, ils se sentent français, espagnols...
autant que roms. Le cliché "enfant de Bohême" les agace : ils n'ont pas
choisi de voyager ou d'être "parqués" à l'écart des villes avec des
collègues d'infortune "gadjé" -arabes parfois, avec lesquels les
relations peuvent être tendues- et refusent l'amalgame.
Même le romantisme est parfois un ostracisme en rose
: "ils sont légers, bohèmes, [le mot qui les désignait est devenu
générique !] forcément chapardeurs, séducteurs..." ils font rêver mais
ce sont des gens que l'on n'aime qu'au théâtre et dont on ne veut pas
chez "soi." Des "enfants" imprévoyants, comme les noirs. Le revers de ce
portrait gentillet, c'est : "ils vivent d'aides sociales, font du
bruit à tout heure, ne tiennent aucun compte des autres et de la loi,
donnent un exemple déplorable, draguent [ou violent] "nos" filles -ou
séduisent nos garçons- etc..." Carmen ! Ce point -la musique à toute
heure- est le seul -relativement- réel : à Nîmes, juste avant la Féria
-là aussi, ils ont adopté avec enthousiasme les
coutumes de l'endroit où ils se trouvent!- difficile de fermer l'œil
mais c'était relié à l'hispanité plus qu'à leur romité. [Nouvellement
nommée, j'avais aménagé dans un quartier gitan, au début avec joie, un
théâtre gratuit à ciel ouvert, flamenco, guitare... mais ensuite, la
fatigue eut raison de ma ferveur.] Une enclave espagnole d'aficionados
peu propice à la concentration certes mais le jour où mon fils âgé de six ans, sans que je ne m'en rende compte, partit "se promener" seul (!) il me fut ramené illico.
Une "famille" donc, avec ses aléas et sa solidarité. Cela valait bien
quelques nuits agitées. Signalons ici que si le mythe du gitan "voleur
d'enfants" est prégnant -tous les enfants du Midi ont vécu avec ces
légendes délicieusement terrorisantes- chez les roms, il y a le même
mythe dans l'autre sens... sans doute moins invraisemblable ! [J'avais
objecté que je ne voyais pas pourquoi des gens qui avaient de si
nombreux enfants auraient éprouvé le désir d'en "voler" qui n'étaient
pas meilleurs que les leurs. Mais dans le doute, j'évitais tout de même
le "camp" sans qu'on ne me l'ait jamais interdit !] Un détail :
lorsque récemment je me suis promenée vers ce quartier -ici dit
"Daudet"- je me suis aperçue soudain d'un fait stupéfiant : bien que née
dans le village où j'ai passé toutes mes vacances, souvent dehors, dans
la campagne, partout... c'était le seul endroit où je n'étais jamais allée !!!
.
Entre
un rom russe, ukrainien, roumain, espagnol, américain ou français, la
différence est évidente, comme le souligne un article par ailleurs
douteux du Figaro (lien) qui
utilise leur hétérogénéité pour les raciser en faisant mine de les
soutenir : les "bons" rroms, appelés "tsiganes", français, intégrés,
travaillant, sédentaires ou non "souffriraient" des "mauvais", issus de
Roumanie, "délinquants, prostitués" et se montreraient favorables à
leur expulsion... Diviser, toujours: les racistes s'y entendent,
recrutant une minorité contre l'ensemble. Tout antisémite a son "bon"
juif -un "ami" toujours mis en évidence, lui aussi antisémite quoique
juif-; tout antiromiste a ses "bons" roms, également antiromistes.
Diviser est plus facile dans leur cas -ainsi que pour les kurdes ou les
noirs- car ils sont plus syncrétiques que les juifs, et même l'exact opposés sur ce point. Remarquablement ouverts, ils ont adopté partout où ils se sont installés, avec ferveur,
les coutumes et les religions autochtones -tout en conservant leurs
rites et leur culture mystique- : chrétiens protestants, évangélistes,
catholiques romains ou orthodoxes, musulmans -ch'iite ou sunites-,
bouddhistes, alevis, yezedis, manichéens, animistes et même juifs! Un cas exceptionnel mais qui fragilise parfois
le groupe originel.. et d'autre fois le renforce. Les juifs, peuple
"élu", souffrent de leur fermeture ; les roms, de leur syncrétisme.
Leur
différence, entretenue ou renforcée, est dramatique lors d'un conflit
entre deux pays. La violence? Lorsqu'il n'est pas question d'aller
porter plainte ou d'ester en justice, c'est une "solution" qui surgit.
Inéluctable. Et la peur qu'ils inspirent est parfois leur seule arme. On
confond seulement la cause et la conséquence.
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