Et rien n'a changé pourtant, à en juger par ce que l'on entend et voit actuellement..

Nombre total de pages vues

mercredi 9 juin 2010

(2) Une histoire politiquement incorrecte

Et une histoire politiquement incorrecte, pénible -un peu-

La voici. Ma maison maternelle est située dans un village du Midi, à flanc d'une montagne caillouteuse qui génère un micro climat, au centre d'un terrain comprenant un bassin d'arrosage profond, un puits et une source -qui ne donne que lorsqu'on n'en a pas besoin.- Milieu syndicaliste humaniste, paysans-ouvriers, puis émigrés en ville -Marseille, Paris- devenus la génération d'après enseignants... anti racisme militant, engagement contre le colonialisme etc... Un fait révélateur : la "chef", Marguerite ma grand-mère, qui avait vécu quatre ans en Algérie parlait, disait-elle, l'"arabe", en fait c'était du kabyle qu'elle m'avait un peu enseigné. Surplombant la propriété, le tronçon d'un chemin étroit dessert un village [c'est un vestige de l'ancienne route doublée par une plus récente au dessus qu'il rejoint cent mètres après.] Un bras "mort" donc -et un raccourci-. Ne l'empruntaient que les piétons, nombreux alors avec lesquels nous aimions aller deviser: Marguerite avait installé en bas table et chaises -la montée est rude et le soleil cogne-.. Ayant été restauratrice, elle se plaisait à "recevoir", à bavarder, fût-ce cinq minutes.


Voilà que petit à petit, des gitans s'y installèrent avec des caravanes-roulottes : une, deux ... Marguerite leur laissa l'eau comme c'est naturel  et sympathisa avec la jeune "chef", une femme de 30-35 ans -mais déjà grand-mère- que j'appellerai Madame Maure. J'ai le souvenir d'une dame longue et mince toujours en train de laver,  presque noire, aux bras tintinnabulant, aimable, diserte -une allure de star- qui enviait mon teint clair -et vice versa-, plaisanteries coutumières. Son mari, un timide costaud surnommé on ne sait pourquoi -car rien ne pouvait plus mal lui aller- "Tintin" ne disait mot et du reste il était occupé toute la journée avec son "tube" à sillonner les routes pour récupérer de la ferraille, parfois des autos qu'il réparait. Je crois n'avoir jamais entendu le son de sa voix.

Nous gênaient-ils ? Bien au contraire! ils mettaient de la couleur dans un quartier isolé sans enfants. Mais ils laissaient forcément du matériel sur le chemin, empêchaient -de fait- les piétons de passer... et jetaient parfois des objets dans le terrain, les gamins allégeant sans doute ainsi la corvée-poubelle, aléas normaux des familles nombreuses. Cela dura ainsi quelques années sans problèmes... Et puis il y eut ce jour où ma mère venue aux vacances protesta: des gosses jouaient près du bassin. Pour la première fois, elle leur demanda de partir. Pas de disputes, jamais : "Bientôt. On cherche une petite maison..." Ils n'ont jamais rien volé et si des incrédules insistaient, Marguerite s'indignait : "Ils ne m'ont jamais rien pris, ni une poule, rien." Une précision : nous ne fermions jamais la porte à clef, même la nuit, comme tous et leur chants le soir, sur cette terre isolée -pour la citadine que j'étais- me rassuraient et m'enchantaient. -Nous n'avions pas la télé-. C'était autre chose que les sinistres parties d'échec où il ne fallait pas prononcer un mot.


La tension monta pourtant avec Lydie : "Mais pourquoi n'allez-vous pas au Dumas?" [Car le village comprenait, bien avant la loi Gayssot, un "camp" en bord de rivière.] Mme Maure :"on ne peut pas, vous avez vu comme c'est sale avec les Zekli..." [une famille occupante-régnante sur les lieux depuis des lustres à laquelle elle reprochait son laisser-aller.] Lydie : "mais vous gênez la circulation et il y a le bassin..." Mme Maure : "j'y veillerai, ma bru est un peu écervelée, elle n'a que quinze ans... Et les voitures ne passent pas ici." Lydie : "mais même les piétons ne passent plus !" Mme Maure : "on ne les en a jamais empêchés, au contraire ! En ce moment, on a de la visite, on envahit c'est vrai, mais "ils" vont partir demain... et il n'y aura plus que ma roulotte." Le fait est, "ils" partaient et d'autres revenaient. Cela devenait un cas pénible dont on ne parlait qu'à mi-mot mais qui tourmentait Lydie, contrainte à la rentrée de laisser sa mère "seule".

Que se passa-t-il en ce jour de septembre? Rien ne fut dit -un peu de gêne sûrement de la part de ma mère et de mon oncle venu en traînant les pieds- mais pour la première fois, il y eut des cris -de la part de Lydie et de Guy-, une intervention de la mairie (?) et ils partirent en effet, au "Dumas", tout près. Je les vis déménager -rapides, organisés, nullement agressifs- avec un mélange de tristesse poignante et de soulagement -Lydie était rassurée- et on n'en parla plus jamais. Ma mère et mon oncle enlevèrent ce qui restait sans protester -le départ avait été précipité- et le chemin fut "libéré". Nous conservâmes pourtant de bonnes relations : Mme Maure qui avait en effet acquis un petit mazet plus haut qu'ils restauraient s'arrêtait toujours pour bavarder avec Marguerite avec les mêmes plaisanteries, moi, d'être un homard, elle, de ne pouvoir s'éclaircir malgré ses onguents*.



La plus jeune de ses filles, Magali, née des années après -un miracle disait-elle, ravie malgré son âge et les sept autres déjà élevés!- fut ensuite -et l'est toujours- la meilleure amie dans le village de la mienne... et lors de mon "affaire" (lien), me fut d'un grand secours; une jeune femme courageuse (lien) engagée dans le combat anti raciste et anti  magouilles, ce qui ne va pas de soi et qu'elle paie parfois très cher. Et, facétie de la génétique courante chez un peuple mélangé à tant d'autres, elle est aussi claire de peau que sa mère le rêvait. "Totalement indétectable -disait-elle- ça sera plus facile pour elle que pour moi de se faire oublier.




 

Non, ce n'est pas Magali -bien qu'elle lui ressemble- mais Denise (lien) une petite fille disparue depuis 4 ans en Italie... disparition dont on a bien sûr accusé "les roms", ce qui indigne ses parents qui démentent fortement. Quand on n'a pas de coupable, il y a les "roms", c'est facile... toujours le mythe, comme pour les juifs... un mythe qui semble bien parfois être de transfert.






* Madame Maure était unanimement appréciée dans le village quoiqu'avec parfois un brin de condescendance qu'elle acceptait philosophiquement, ainsi que son mari, devenu ensuite employé municipal, toujours prêt à rendre service -bénévolement-.. appréciée y compris par des gens ouvertement anti roms dont elle parvenait à désamorcer l'agressivité -souvent des immigrés espagnols presqu'aussi pauvres qu'elle !- De fait, lui se faisait souvent exploiter, ne protestant pas lorsqu'on lui attribuait les tâches pénibles et dangereuses que les autres refusaient, et les seules fois où elle se mit en colère -mais alors elle ne faisait pas semblant!- ce fut pour le défendre. Mais du coup, elle et les siens étaient parfois mis à l'écart par les autres rroms du village -pas de la même tribu-, une "oncle" Tom. Et le drame fut que Magali, ensuite, lorsqu'elle fut dans une gène financière impensable (lien), ne put compter, ou très peu, sur la solidarité des "siens". 

Pourquoi cette attitude de Lydie envers une quasi-parfaite, excellente ménagère, ses enfants ne ratant jamais l'école -elle les conduisait par tout temps, et à pied, 1 km- ne réclamant jamais, toujours prête à aider, le sourire aux lèvres ? Peut-être justement parce qu'elle l'était ! Un peu de jalousie vis à vis de sa mère dont il lui déplaisait qu'elle ait détourné une affection qui ne revenait qu'à elle seule -mais éloignée- pour une "étrangère" -au sens de "hors famille"-, elle, toute proche ? Il est possible aussi que ma fascination vis à vis d'elle -pas très éloignée de son âge- ait joué un rôle : Lydie, ni Marguerite, engagées anti racisme, ne connaissaient la peur, surtout la peur absurde vis à vis de l'autre "différent", mais pour ce qui est de ma mère, la jalousie affective, si ! Cette parfaite lui "prenait" sa mère et était en passe d'avaler sa fille avec -pour les vacances-. Ça, jamais ! Une histoire politiquement incorrecte donc où certes aucun mot raciste ne fut prononcé, où jamais les -faibles- nuisances occasionnées par les Maure ne furent jamais attribuées à leur origine ethnique et extrapolées à tous les "leurs", mais qui se termina tout de même par leur expulsion et la contrainte pour eux -provisoire- d'aller vivre où ils n'étaient pas persona grata.. justement à cause de leur trop grande intégration vis à vis des "gadjés"! Telle est la dramatique situation des exclus, trop ou trop peu, toujours. Entre deux chaises, voire trois. Une génération après, Magali -et ses enfants- le payent encore. Durement. Cf l'article (lien) : une dénonciation calomnieuse à la CAF pour lui faire retirer ses prestations.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Cliquer sur l'image pour la liste des articles