Le Gouvernement a donc décidé, pour des
motifs d’opportunité politique assez évidents de mettre en œuvre une
politique d’expulsion, au sens premier du terme : "pousser dehors" à
l'encontre des Roms étrangers vivant en France.
Roms ne veut pas dire roumain et ni "gens du voyage" !!
Avant d’aller plus loin, qu’est-ce qu’un Rom ? Rom vient du mot Rrom, en langue romani (l’orthographe a été amputée d’une lettre), qui signifie "homme" au sens d’être humain (féminin : Roma ; pluriel : Romané).
Il s’agit d’un peuple parti, semble-t-il (la transmission de la culture
étant orale chez les Roms, il n’existe pas de source historique fiable,
mais tant la langue romani parlée par les Roms que la génétique confirme l’origine géographique indienne)
du Nord de l’Inde (Région du Sindh, dans l’actuel Pakistan, et du
Penjab pakistanais et indien) aux alentours de l’an 1000 après
Jésus-Christ sans doute pour fuir la société brahmanique de l’Inde qui
les rejetait comme intouchables (c’est donc une vieille tradition pour
eux que d’être regardés de travers par leur voisin).
Ils sont arrivés en Europe via la
Turquie au XIVe siècle, suivant les invasions des Tatars et de Tamerlan,
et s’installèrent dans l’Empire byzantin (qui les appelle Ατσίγγανος , Atsinganos,
"non touchés", du nom d’une secte pré-islamique disparue, dont les
zélotes refusaient le contact physique ; quand les Roms arrivèrent, les
byzantins, qu’on a connu plus rigoureux dans leur réflexion, les prirent
pour des membres de cette secte), ce qui donnera tsigane, Zigeuner en allemand et Zingaro en italien. Ceci explique que leur foyer historique se situe dans
les actuelles Turquie, Roumanie, Bulgarie, pays qui restent les trois
principales populations de Roms, et dans les Balkans (ex-Yougoslavie).
Outre des professions liées au spectacle ambulant, les Roms se sont spécialisés comme ferronniers et chaudronniers, Γύφτοs, Gyftos, ce qui donnera Gypsies en anglais, Gitano
en espagnol, et Gitan et Égyptien en Français (dans Notre Dame de
Paris, la Recluse appelle Esmeralda "Égyptienne" ; et Scapin appelle
Zerbinette "crue d’Égypte").
Le roi
de Bohême (actuelle république Tchèque) leur accordera au XVe siècle un
passeport facilitant leur circulation en Europe, d’où leur nom de
Bohémiens. De même, le Pape leur accordera sa protection (Benoît XVI est
donc une fois de plus un grand conservateur.) Leur arrivée en France
est attestée à Paris en 1427 par le Journal d’un Bourgeois de Paris (qui
leur fit très bon accueil) — C’est d’ailleurs à cette époque que se
situe l’action du roman de Hugo Notre Dame de Paris.
Pour en finir avec les différents noms qu’on leur donne, Romanichel vient du romani Romani Çel,
"groupe d’hommes", Manouche semble venir du sanskrit manusha, "homme",
soit le mot Rrom en romani, et Sinti semble venir du mot Sind, la
rivière qui a donné son nom à la province du Sindh dont sont originaires
les Roms. Sinti et Manouche désignent la même population rom établie
dans les pays germanophones et presque intégralement exterminés lors de
la Seconde guerre mondiale. C’est pourquoi le mot Tsigane, évoquant
l’allemand Zigeuner, d’où le Z tatoué sur les prisonniers roms, est considéré comme blessant aujourd’hui .
Il
convient ici de rappeler que les Roms ont été, aux côtés des Juifs, les
cibles prioritaires de la politique d’extermination nazie. Le nombre de victimes du génocide, que les Roms appellent Samudaripen (meurtre collectif total), se situe aux alentours de 500 000, avec pour les Sinti allemands entre 90 et 95% de morts.
Ces mots peuvent être utilisés
indifféremment pour désigner les Roms, encore que les siècles
d’installation dans des pays différents ont fait apparaître des
différences culturelles profondes. Même la langue romani n’est plus un
dénominateur commun, puisque les Roms d’Espagne et du sud de la France,
les Gitans, parlent le kalo, un sabir mâtiné d’espagnol, depuis qu’une loi espagnole punissait de la mutilation de la langue le fait de parler romani (les espagnols ont un atavisme profond avec les langues, mais c’est un autre sujet).
En 1971 s’est tenu à Londres le Congrès
de l’Union Rom Internationale (IRU) qui a adopté le terme de "Rom" pour
désigner toutes les populations du peuple rom, d’où l’usage de ce terme
dans ce billet (ce que les gitans refusent, eux se disent kalé).
Le mot rom ne vient donc absolument pas de Roumanie, ni de Rome, bien
que ce peuple se soit installé en Roumanie et auparavant dans l’Empire
romain d’Orient. Je ne puis conclure ce paragraphe sans
vous inviter à lire les commentaires de cet article, où je ne doute pas
que des lecteurs plus érudits que moi apporteront de précieuses
précisions ou, le cas échéant, rectifications.
Tous les chemins mènent aux Roms
Les Gens du voyage sont-ils des Roms ? Non. Le nomadisme n’est pas une tradition chez les Roms, mais une nécessité historique. Aujourd’hui, entre 2 et 4% des Roms sont du voyage, c’est-à-dire ont fait le choix d’une vie nomade. Et beaucoup de gens du voyage ne sont pas roms, comme les Yéniches,
que l’on prend souvent pour des Roms. Les forains sont aussi nomades,
mais du fait de leur profession, et pour la plupart ne sont pas Roms. Et
si demain, il vous prenait la fantaisie de vivre une vie nomade, vous
deviendriez aussitôt Gens du Voyage, sans pour autant devenir Rom (sauf
aux yeux des lecteurs du Figaro).
Un abus de langage est apparu du fait que la Constitution française interdit toute distinction sur une base ethnique.
Le terme de Gens du Voyage, neutre de ce point de vue, est souvent
employé aux lieu et place du mot Rom. Or ce ne sont pas des synonymes.
Ce qui d’emblée montre que le problème
des occupations illégales de terrains, publics ou privés, par des Roms
ne vient pas uniquement du fait que la loi Besson (pas Éric, non, celui
qui est resté de gauche, Louis)
du 5 juillet 2000, qui oblige les communes de plus de 5000 habitants à
prévoir des aires d’accueil, est allègrement ignorée par la majorité des
maires. Quand un Rom viole la loi, c’est mal. Quand l’État viole la loi, c’est la France. Laissez tomber, c’est de l’identité nationale, vous ne pouvez pas comprendre.
La majorité des Roms en France sont français, et leur famille l’est même depuis plusieurs siècles. Les
Roms ont de tout temps adopté le style de vie des pays où ils se sont
installés, jusqu’à la religion (ils sont catholiques en France,
protestants en Allemagne, musulmans en Turquie et dans les Balkans), et
il ne viendrait pas à l’idée d’un Rom de donner à ses enfants un prénom
qui ne soit pas du pays où il nait (lire les prénoms des enfants d’une
famille rom permet parfois de retracer leur pérégrination ; exemple :
Dragan, Mikos, Giuseppe, Jean-Pierre). Cela ne les empêche pas de
garder vivace la tradition rom, à commencer par la langue romani, et
l’importance primordiale de la famille élargie (la solidarité n’est pas
un vain mot chez les Roms). Il est d’ailleurs parfaitement possible
qu’un de vos collègues de travail soit Rom et que vous ne l’ayez jamais
soupçonné.
Naturellement, ces Roms ne sont pas
personnellement menacés par la politique actuelle, même s’il est
probable qu’ils la vivent assez mal.
Les Roms étrangers sont donc quant à eux
des migrants qui veulent une maison qui ne bouge pas, et habitent des
habitations de fortune, triste résurgence des bidonvilles. Ils viennent
de pays qui ont toujours refusé leur intégration en en faisant des
parias dans leur propre pays. Même si l’intégration à l’UE de ces pays a
conduit à un changement total de politique, les états d’esprit, eux
n’ont pas changé, et le rejet répond hélas souvent au rejet. Certains
Roms se sont sédentarisés et tant bien que mal intégrés, comme les Kalderashs (du roumain Căldăraşi,
chaudronniers, habiles travailleurs du métal, en particulier du
cuivre) ; d’autres, comme les nomades, forment une société fermée et
hostile aux gadjé — aux non-Roms. La plupart des Roms de Roumanie qui viennent en France sont des kalderashs, et non des nomades, fuyant la misère et le rejet dont ils font l’objet dans leur pays. Donc, pas des gens du voyage.
Les
roms des Balkans (ils sont nombreux en Serbie et au Kosovo) fuient eux
aussi la misère, même si certains demandent l’asile (très peu
l’obtiennent) prétendant faire l’objet de persécutions. Il faut
reconnaître que lors de la guerre du Kosovo en 1999, des Roms ont été
recrutés par les troupes serbes pour se livrer à des opérations
militaires de nature à intéresser le tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY), et se sont acquittés de cette tâche avec un
zèle qui n’a pas laissé de très bons souvenirs auprès des populations
kosovares (j’entends par là : albanais du Kosovo).
Des Roms, des stats et de la bière nom de Dieu
Une question se pose, et je ne tiens pas
à l’éluder : celle des Roms et de la délinquance. Le lien est certain,
les chiffres ne mentent pas. Partout
en Europe, les Roms sont bien plus victimes de la délinquance que les
autres populations. Destructions de biens, agressions racistes, sur
lesquelles les autorités ferment bien volontiers les yeux, d’autant plus
que les Roms, on se demande pourquoi, ont développé à leur encontre une
certaine méfiance, quand ce ne sont pas des pogroms. Sans
compter les crimes contre l’humanité subis par ce peuple, que ce soit le
génocide nazi ou la réduction en esclavage en Valachie et en Moldavie
—oui, des esclaves en Europe— jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.
Mais n’esquivons pas la question de la
délinquance de Roms. De Roms, pas DES Roms. Elle existe, c’est
indéniable, ne serait-ce du fait qu’aucun groupe humain n’est épargné.
Est-elle plus élevée que dans les autres groupes sociaux ? C’est
probable.
Évacuons rapidement une question : l’occupation sans droit
ni titres de terrains publics ou privés. Il ne s’agit pas de
délinquance puisqu’au pire (occupation d’un terrain public), ces faits
sont punis d’une contravention de grande voirie.
Les causes premières de la délinquance,
au-delà du mécanisme intime et personnel du passage à l’acte, qui fonde
la personnalisation de la peine, sont la pauvreté (liée au chômage ou à
la précarité de l’emploi ; un CDD est aussi rare dans une audience
correctionnelle que la vérité dans la bouche d’Éric Besson), l’exclusion
(qu’entraîne mécaniquement le fait d’être sans-papier, notamment), le
faible niveau d’instruction (qui empêche d’accéder aux professions
rémunératrices), outre le fait que la délinquance concerne surtout des
populations jeunes (le premier enfant a un effet remarquable sur la
récidive).
Vous avez remarqué ? Je ne viens pas de
vous dresser un portrait du jeune versaillais. Plutôt celui du jeune Rom
des terrains vagues. Ou du jeune des cités, soit dit en passant pour la
prochaine fois ou on tapera sur eux. À vous de voir avec votre
conscience si vous voulez y ajouter une composante génétique.
Parce qu’aucune statistique n’existe sur
la délinquance des Roms. Aucune. Tout simplement parce que ce serait
interdit : Rom est une origine ethnique, or la loi prohibe la
constitution de fichier sur des bases ethniques ou raciales — suite à un
précédent quelque peu fâcheux.
Donc quand le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux prétend présenter des statistiques de la délinquance des Roms
pour justifier la politique du Gouvernement, il ment ou il transgresse,
on dit "il viole", sa propre loi, ou il nous prend pour des pommes,
sans doute tout cela à la fois.
Le ministre de l’intérieur a cru devoir
présenter publiquement (sur RTL) le 25 août des statistiques fondées sur
"une étude des services de police", non sur l’origine ethnique,
interdite, mais sur la nationalité du délinquant, roumaine en
l’occurrence.
Mes lecteurs ayant suivi jusqu’ici ont
déjà compris l’inanité de l’affirmation. Rom ne veut pas dire Roumain,
et le ministre joue ici sur la ressemblance des termes, et l’inculture
de son auditoire. Mes lecteurs sachant faire la différence entre un mot
sanskrit et un mot latin, je ne m’attarderai pas sur ce stratagème
grossier, qui ne trompera que qui veut être trompé.
De plus, les services de police, même si
on leur fait perdre un temps précieux depuis des années à collectionner
des statistiques inutiles hormis à la communication gouvernementale, ne
sont pas un service de statistique. La méthode de récolement des
données n’a rien de scientifique et n’a jamais eu la prétention de
l’être. Elle repose sur les délits constatés ou dénoncés, ayant donné
lieu à élucidation. Donc préalablement à enquête. Or la distribution des
effectifs et des moyens (limités, et de plus en plus du fait de ce même
Gouvernement) dépend pour l’essentiel des directives données par ce
même Gouvernement.
Je m’explique. Le Gouvernement estime
que l’opinion publique, qu’il confond hélas trop volontiers avec le
peuple souverain, est particulièrement remontée contre les vols à la
tire (les pickpockets) ou à l’arraché (qui en est une variante un peu
plus bourrin) dans les transports en commun. Le ministre de l’intérieur
va demander aux forces de police de mettre la pression contre cette
délinquance. Le commissaire de police va recevoir cette instruction et
va redistribuer ses effectifs, qui préalablement luttaient contre les
violences faites aux personnes, sur les voleurs du métro. Mécaniquement,
le nombre d’interpellation pour des faits de violence va baisser. Les
policiers interviendront toujours lors d’une bagarre, mais n’arrêteront
personne pour des faits de violences légères, puisque leur mission est
de surveiller les voleurs à la tire. Un délit constaté de moins = baisse
de la statistique correspondante, sans que la réalité n’ait changé en
quoi que ce soit. En revanche, plus de voleurs à la tire seront arrêtés
(car la police reste malgré tout plutôt efficace dans son boulot).
Augmentation de la statistique, sans lien avec l’évolution de la
réalité. Voilà la méthodologie qui préside à la confection de ces
"statistiques".
C’est pourquoi le ministre peut
proclamer des chiffres aussi aberrants, et sans hélas faire tiquer qui
que ce soit, qu’une augmentation de 138 % en un an de la délinquance
roumaine. Personne ne fait le lien avec une autre donnée, qui indique
que 13,65% des auteurs de ces vols seraient Roumains (sous-entendu :
Roms). C’est-à-dire que 13,65% des délinquants sont responsables d’une
augmentation de 138% des délits. Qui a dit que les Roms étaient des
feignants ?
D’autant plus que pour fréquenter un peu
les prétoires parisiens, je suis assez bien placé pour savoir qu’il
existe aussi une délinquance roumaine non-rom, assez active ces derniers
mois, dite de l’escroquerie aux "Yes-card". Une Yes-card est une
fausse carte de crédit qui, quel que soit le code que vous tapez,
renvoie toujours une réponse positive au lecteur, faisant croire que la
banque a accepté la transaction. Des Roumains achètent ainsi des
vêtements de marque et des parfums, et vont les revendre à Bucarest.
C’est une atteinte aux biens, commise par des Roumains, mais pas par des
Roms. Sauf dans les statistiques de M. Hortefeux.
Brisons là, ce billet mérite je pense
d’être soumis à vos commentaires. Le deuxième volet sera centré sur le
droit des étrangers et portera sur les mesures actuelles d’expulsion,
pour lesquelles le Gouvernement use selon les cas de deux méthodes :
soit violer la loi, soit se payer votre tête. Et fort cher, si ça peut vous consoler.